Le jeudi trente avril deux mille neuf. CDI.

Le groupe un (la moitié de la classe en fait) a Education Civique, Juridique et Sociale, avec la prof d’histoire. Après, deux heures de géo, toujours avec la même prof. Ils ont pas de chance.

J’ai rien mangé, ce matin, j’ai pas eu le temps, coiffée n’importe comment aussi, flemme extrême.

Le petit Stéphane joue avec un morceau de scotch Pattex, Damien, Bekir et Nicolas révisent la physique, on a une heure de DS cette aprèm, après l’EPS, on aurait dû en avoir deux, mais le prof peut pas nous surveiller, et il y avait pas de pion disponible pour l’heure de cinq à six. Tant mieux.

Il fait beau, le ciel est tout bleu, et la lumière jaune.

Comme la façade du CDI est formée de grandes vitres, et que le soleil tombe directement dessus, il me chauffe le dos.

J’ai deux mèches de cheveux qui bouclent, comme par hasard, ce sont celles de chaque coté de ma frange… C’est moche. J’ai rien eu le temps de faire ce matin, juste de me laver les cheveux et de faire mon sac.

Damien a confisqué le rouleau de scotch à Stéphane, qui en retour lui prend sa trousse en otage. Echange de prisonniers de guerre.

Sur le bureau des documentalistes, il y a deux branches fleuries de lilas (un peu fanées depuis hier), elles sont mauves très pâles, je préfère celui de chez moi, blanc ou violet foncé. Les fleurs sont plus nombreuses aussi.

La pendule et les chiffres sont noirs, le cadran est blanc. La trotteuse rouge trotte tic tac tic tac, lentement elle tourne et décompte le temps qui passe, toujours même vitesse, même rythme, même tempo, tic tac tic tac, la vie est courte, et le temps n’existe que pour toi, petit être humain, tout le reste est intemporel, tu n’avais pas assez de contraintes, pas assez de points de référence, il fallut que tu créasse cette unité, les secondes, les minutes, les heures, les jours, les semaines, les mois, les années, les décennies, les siècles, les millénaires, tout cela n’a de signification qu’à tes yeux. Quelle aberration…

Ça sonne, géo maintenant…

Neuf heures cinq, géographie, de dix heures à onze heures, exo noté. C’est normal, le dernier cours, on avait vraiment fait chier la prof, elle nous avait même dit que nous avions été odieux… Elle exagère.

Le grand Stéphane n’est pas là. Où est-il ? Personne à part Bekir, son voisin de table, ne doit se poser la question.

La prof a demandé à Guillaume de se mettre tout seul au premier rang, il parle tout le temps, avec tout le monde, toujours une réflexion à faire.

Je n’ai pas vu Vincent ce matin. J’espère qu’il ne me fait pas la gueule.

On doit répondre à une question sur les pages cent quatre vint quatorze et cent quatre vint quinze, la prof est allée s’appuyer sur le mur du fond de la classe, son livre à la main, elle lit en attendant qu’on ai fini. Elle marche entre les rangs, comme seuls les profs savent le faire, touc touc touc, ses talons résonnent, on entend les chuchotements, Mickaël qui engueule Camille, les stylos quatre couleurs qui claquent.

Le pion vient prendre le billet d’absence.

Il y a des gens qui travaillent et d’autres, comme moi, qui s’emmerdent (Guillaume, Mickaël, Florian, Nicolas, Adrien, Rémi…).

Les chaises grincent.

La prof est retournée s’assoir à son bureau.

J’entends les oiseaux dehors, le chant est parfois couvert par le bruit d’un moteur.

Camille s’est entièrement retourné le petit doigt au judo, elle a un strap.

La prof demande si on a terminé. Non. Neuf heures vingt et une.

Neuf heures vingt sept, le brouhaha reprend, Mickaël joue sur le portable à Camille.

Correction, du coup tout le monde parle en même temps.

Fatiguée… Heureusement que demain est férié.

Qui parle sème. Qui écoute récolte. (Pythagore) Celui qui écrit peut avoir deux objectifs : soit c’est pour lui, soit c’est pour d’autres. J’écris pour moi. Je ne pensais pas que ça intéresserai quelqu’un d’autre que moi. Je me suis trompée.

Guillaume dort sur sa table, il a l’air calme, mais juste l’air.

J’aime bien regarder les gens qui dorment, ils sont enfin sereins.

Dans un quart d’heure, c’est la récré.

La prof repart en trip, la privatisation du service public, la suppression du baccalauréat… Ça sonne, récré.

Dix heures douze, Stéphane est revenu, il était chez l’ostéopathe.

J’ai vu Vincent, il est persuadé que je lui fait la gueule. C’est pas grave. Il peut penser ce qu’il veut. J’ai pas envie de me faire chier à essayer de le convaincre.

La prof aurait-elle oublié l’exercice noté ? Je ne pense pas, on aura juste pas beaucoup de temps pour le faire.

Quand elle dicte, il n’y a plus que le bruit des stylos sur les cahiers, des manches sur les tables, des chaises qui craquent et des bruissement de tissus, des feuilles qu’on retourne, des “madame, vous pouvez répéter ?” ou des “moins vite, s’il vous plaît…”, les trousses qui sont remuées, le train qui passe, des gens qui crient dans la cour, les éternuements, les bouchons qu’on pose trop vite.

J’entends la mine de mon critérium sur la feuille, qui frotte, qui glisse et laisse derrière lui cette trace que sont les mots.

Je viens d’arriver au milieu du cahier, je vois les agrafes. Quand je l’aurai fini, je le reprendrai au début et j’écrirai au stylo par-dessus le crayon de papier, j’utiliserai chaque page deux fois, économie de papier, pas envie de gaspiller.

Quand j’en changerai, je prendrai un cahier de moins bonne qualité, pour ce que j’écris dessus, je peux bien prendre un cahier de brouillon.

Il nous reste à voir deux guerres et un chapitre en géo avant la fin de l’année. On y arrivera pas. Pas grave, on a un livre, le cours est dedans…

Yohann a la même trousse que Damien et Nicolas, toute petite, noire et beige, avec une fermeture éclair.

Dix heures trente trois. Engourdissement total, mais il ne faut pas y céder, la prof dicte, si le fil est perdu, il devient impossible à rattraper, même en lisant le cahier de son voisin, c’est trop rapide.

La prof doit croire que je copie le cours, mais en fait non, j’écris sur mon cahier.

J’ai faim.

Il y a des nuages, j’espère qu’ils vont partir d’ici midi. Des filles crient dehors. Le soleil est caché puis visible puis à nouveau caché.

Les secondes ont devoir commun de Langue Vivante une (anglais ou allemand, c’est selon).

Yohann essaye de reprendre la dictée en lisant ce que j’écris, il peut essayer, mais ça lui sera pas très utile…

Je me suis encore trompée sur le prénom de quelqu’un… Après Bekir, C’est Yoan. Désolé… Mais quelle idée aussi d’avoir des noms pareils ? Même Word les soulignent en rouge… ^^

Ce matin, j’ai fait des cauchemars. Quand je dors, d’abord j’ai un sommeil profond, dans lequel je ne perçoit rien, je dors simplement, puis le sommeil devient de plus en plus léger. C’est à ce moment que je commence à faire des rêves. C’est là aussi que je me réveille parce que je respire mal. Ces derniers temps, je ne dormais pas assez pour atteindre le cycle de sommeil plus léger, sommeil de plomb, je ne rêvais pas. Tant mieux. Tous mes rêves sont horribles, angoissants, et s’ils ne le sont pas, c’est qu’ils sont glauques et malsains.

J’ai rêvé que j’étais condamnée à mort par décapitation, avec Rémi et Allan, et d’autres personnes, une dizaine, je ne me rappelle pas leur visage. Nous étions assis sur des sièges, dans la rue, il y avait un estrade devant laquelle tombait un rideau rouge. Les passants ne comprenaient pas, j’ai même parlé avec une personne qui m’a dit qu’elle était contente pour moi… J’attendais mon tour en priant pour que je passe en dernière, que quelque chose ma sauve, et ma radio s’est allumée, elle m’a réveillée. Tant mieux. Je déteste mourir en rêves. C’est toujours d’un réalisme surprenant. Le rêve est bizarre, décousu, mais la mort est réaliste, j’en ai mal, je ressens la douleur dans mon corps.

Je ne veux pas mourir en me suicidant. J’ai trop peur.

Dix heures cinquante trois. Du coup, pas d’exo noté, pas le temps.

Rémi met un grand coup d’effaceur sur la feuille de Nicolas, qui écrit tout le temps au stylo plume. C’est puéril. Ça va bien avec le personnage. Je l’entends soupirer.

Quelqu’un taille une haie ou tronçonne un arbre. Ça ressemble plus à une tronçonneuse, mais je n’y connais pas grand-chose.

Les métropoles et les grands réseaux de communication sont donc au centre des territoires européens et français, mais ils génèrent d’importantes inégalités point final. Ça sonne.

Onze heures sept, espagnol, j’ai croisé Vincent dans l’escalier. Smack.

Clément passe son permis moto, il est pas là, j’avais pas remarqué jusqu’à présent.

Je viens de me rendre compte que j’ai sauté deux pages, elles sont vides, je les remplirai plus tard.

Le prof va me faire chier, il m’a vu parler, toute l’heure ça va être pour ma gueule.

Nicolas m’a trouvé un logiciel de conversion, je ne peux pas lire sur mon ordi les fichiers .MOV, il faudrait installer Quik Time, mais il fout le bordel, il fonctionne pas avec Vista, ça foire.

Onze heures vingt huit. Le prof en a marre de nous.

Mickaël a une chemise blanche à rayures.

Le prof m’interroge toutes les deux minutes… pénible…

Ghislain dort sur son bureau, mais comme il est discret, le prof le voit pas.

Le prof en peut plus de Mickaël. Il demande ce que tient Nicolas. Un effaceur. Mais vous savez, quand un élève a les deux mains sous la table, on pense tout de suite au portable.

Le prof vient de réveiller Lucas, deux de tension, atmosphère sieste, on se croirait en anglais.

Onze heures trente six. Le temps a l’air de passer plus lentement juste pour ce cours, on pourrait penser que c’est fait exprès. Le prof est chiant avec son discourt moralisateur… Et C’est tout le temps comme ça…

Onze heures quarante et une. Demain, je recopierai ça, et le français que Nicolas m’a passé. Je copie pas les cours, je récupère ce qu’il écrit et je le met au propre sur Word, ça me fera de jolies fiches de révision.

Mickaël se roule une clope. Onze heures quarante sept.

Le prof engueule Mickaël. Onze heures cinquante.

J’embête Nicolas. Onze heures cinquante et une.

Le prof réveille Lucas. Onze heures cinquante deux. Ça sonne dans trois minutes.

Ludovic fait tomber un stylo et Camille le ramasse. Encore deux minutes.

Il y a de gros nuages, mais il fait encore beau. Juste un peu froid.

Plus qu’une minute, Nicolas compte. Je pense qu’il va perdre. Presque. Un peu trop tard, une seconde de décalage.

Dix neuf heures quarante. Je suis à l’école de musique, séance exceptionnelle, préparation au bac (option musique bien sûr…), dommage que l’ordinateur plante, on est obligé de changer de place. On est nombreux ce soir. On écoute et on commente des morceaux (Leo Ferre, Requiem et Avec le temps)

30.04.09